jeudi 15 octobre 2009

Laugavegur, Islande



Préparatifs

Je ne sais plus trop comment l'idée de partir en Islande s'est imposée à nous à la fin de l'année 2008. toujours est-il qu'en cette période où il est plus commun de rêver de palmiers et de sable chaud, nous avons décidé de partir explorer ce lointain pays nordique.

Nous avons arrêté notre itinéraire après avoir un peu cherché sur Internet, et découvert ce Trek classique que constitue le Laugavegur, un peu moins de 80 kilomètres entre Landmannalaugar et Þorsmörk que nous avons prolongé par sa variante jusqu'à Skógar, sur la côte. Cet itinéraire est réputé pour être magnifique et très varié, offrant un concentré de tout ce que l'Islande a de plus beau aux yeux émerveillés du voyageur. Nous avons été conquis; vous jugerez par vous-même avec les photos de ce récit!

Itinéraire


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Premier jour, Vendredi 17 Juillet 2009

Cette première journée sera essentiellement consacrée au voyage qui nous acheminera de Paris à Skógar où nous avons choisi de commencer notre voyage. Partis vers 5h pour un vol matinal, nous traversons d'un pas vif les quartiers déserts d'une ville encore endormie pour aller chercher le premier train vers l'aéroport, où nous ferons la queue au check-in avec une armée de jeunes scouts dont nous apprendrons plus tard qu'ils se rendaient à un vaste rassemblement de ce mouvement de jeunesse, qui réunit quelques trois mille d'entre eux pour partager leurs expériences diverses et faire un peu la fête!
Arrivés à Reykjavik en milieu de matinée, nous aurons le loisir de compléter notre matériel, avec des recharges de gaz, et surtout une canne à pêche et un permis! Un bus en fin d'après-midi nous amène finalement à destination, et nous installons nos tentes sous une bruine froide et des nuages bas au camping de Skógar qui ressemble un peu à un camp de base, avec toutes ces petites tentes d'expé éparpillées sur la pelouse!

Deuxième jour, Samedi 18 Juillet 2009

Après une longue nuit réparatrice, nous décollons vers 9h, sous un ciel plombé et un très léger crachin. Nous contemplons au passage les chutes de Skógafoss, qui se jettent dans la plaine d'une hauteur de soixante mètres. On raconte qu'un coffre se trouverait derrière la cascade, déposé ici par le Viking Þrasi Þórólfsson. Un enfant trouva le coffre quelques années plus tard, mais ne put en prendre qu'une poignée, et le reste du trésor serait toujours caché derrière la muraille liquide...


Le sentier qui serpente dans la montagne est facile à suivre, mais il grimpe beaucoup et nous n'y sommes pas seuls. De nombreux Islandais relient Skógar et Þorsmörk pour le week-end, et plusieurs groupes nous suivent ou nous précèdent. A mesure que nous nous enfonçons dans les nuages cependant, nous les perdons un peu de vue, mais l'atmosphère se charge d'humidité et le crachin se transforme bientôt en une pluie froide et mordante qui tombe sans discontinuer.

Plusieurs heures durant, nous progressons en direction du col de Fimmverðuháls, près de mille mètres au dessus de nous. L'effort, le terrain rocailleux et la pluie s'ajoutent à a fatigue du voyage et en font un parcours difficile. Pendant un moment, le lit de la rivière Skóga, profondément creusé dans la montagne, nous accompagne de son puissant grondement, mais lui aussi finit par s'éloigner.


Vers treize heures, trempés, fourbus, démoralisés, nous parvenons au refuge de Baldvinsskali, petite cabane humide, crasseuse et bondée où nous ne sommes que trop heureux de pouvoir nous abriter de la pluie. Riz au pesto et chocolat reconstituent nos forces et notre moral et nous nous installons à l'étage où je passe quelques temps à discuter avec deux Israéliens et trois Allemands pendant que le reste de l'équipe s'allonge pour dormir.

Plusieurs heures plus tard, le temps s'est découvert, et les premiers rayons du soleil percent enfin les nuages. Nous sortons pour profiter de la vue sur le glacier Eyjafjallajökull et les fantasmagories minérales qui nous entourent.



Reposés, séchés et ragaillardis par cette longue halte, nous décidons alors de faire ce que seul l'été arctique autorise; nous repartons, un peu après 19h, avec l'ambition de franchir le col et d'aller aussi loin que possible de l'autre côté. Les Israéliens nous accompagnent un bout de chemin, trop heureux de pouvoir contempler les magnifiques paysages que les nuages leur avaient cachés dans l'après-midi.
Nous avons décidé de parcourir le Laugavegur dans le sens sud-nord, qui n'est pas habituel; aussi croiserons nous de nombreuses personnes le long du chemin, qui nous renseigneront sur ce que nous réservent les prochaines étapes. C'est ainsi dans la neige qu'ils nous avaient promise abondante autour du col que nous faisons nos adieux à nos éphémères compagnons de route.


Nous poursuivons notre progression dans les névés, et serons rejoints et dépassés, un peu avant le col, par un islandais qui, parti de Skógar en milieu d'après-midi, ambitionne de filer d'une traite jusqu'à Þorsmörk que nous ne comptons rallier nous-mêmes que le lendemain après-midi. Nous le surnommerons "La Fusée"...
Quand à nous, malgré une inquiétude passagère concernant la météo, nous profitons de la vue magnifique qui s'offre à nous sur l'autre versant de la montagne, que nous rejoignons doucement. Il est 23h passées, le soleil va se coucher plein nord, il éclabousse les glaciers et les sommet en face de nous;... jugez plutôt.




Nous commençons, émerveillés, notre descente vers la mer de nuage qui roule à nos pieds, ses flux et reflux venant se briser sur les îles minérales qui en émergent ça et là jusqu'à l'horizon. Bientôt cependant, la pente devient plus raide, et les névés réapparaissent; le dernier d'entre eux, particulièrement impressionnant, plonge vertigineusement devant nous, et nous suivons des yeux la trace qui le franchit pleine pente et va se perdre dans la brume dense un peu plus bas. Au delà, impossible de savoir ce qui nous attend. Replat, lacets... précipice?


Il nous semble repousser les nuages devant nous, car à mesure que nous descendons des montagnes en émergent plus hautes et plus nombreuses. Les brumes s'affaissent comme la nuit tombe, et nous révèlent des décors époustouflants; îles volcaniques égarées au hasard d'un océan de nuages, explorées par d'improbables navires de pierre fendant les nuées dans leur course immobile...

Après une longue descente ponctuée de quelques passages un peu délicats, signalés par une ligne de vie courant le long de la paroi sur une centaine de mètres à chaque fois, nous finissons par monter le campement dans une semi-pénombre sur le premier terrain à peu près plat que nous ayons trouvé, face aux montagnes, et nous couchons avec les yeux plein d'images. Il est plus d'une heure du matin.

Troisième jour, Dimanche 19 Juillet 2009

L'aube a suivi de près le crépuscule de la veille, et le soleil est déjà haut, mais invisible dans le ciel blanc, lorsque nous quittons les tentes. Le temps paraît plus clément que la veille, et nous pouvons nous représenter plus clairement dans le paysage le parcours qui nous attend pour la journée.


Nous entamons peu après la longue descente qui conduit vers la vallée de Þorsmörk, une plaine de roches grises parcourue du cours hésitant des nombreux bras du fleuve Krossá qui peut se distinguer juste au dessus des tentes sur la photo.
Le sentier suit l'arête d'un des contreforts des montagnes que nous avons franchies la veille, et offre bientôt des perspectives vertigineuses sur les ravins creusés dans la roche tendre par des ruisseaux fougueux. Certains passages un peu acrobatiques sont doublés de lignes de vie, comme celles que l'on peut croiser un peu plus haut: un câble métallique retenu à la paroi par des cavaliers d'acier solidement vissés dans la roche.


Nous arrivons dans la vallée, et traversons en fin de matinée un terrain de camping propret assez plein en ce dimanche matin; beaucoup d'islandais viennent ici pour faire la fête le samedi soir, tractant avec leurs jeeps monstrueuses de confortables caravanes sur la piste sinueuse qui rejoint la route principale. Nous la suivons quelque temps pour aller chercher le pont qui franchit le cours principal de la Krossá un peu en aval. Le lit de la vallée ne présente cependant que très peu de relief, et le fleuve l'inonde de ses multiples bras; il faut fréquemment, pour la traverser, franchir de petits cours d'eau boueux. C'est l'occasion d'expérimenter la solution que nous avons retenue pour les franchissements de rivières: des sacs poubelles de grande capacité, enfilés par dessus chaussures de marche et pantalon et serrés aux genoux, doivent nous permettre de guéer les rivières peu profondes que nous nous attendons à rencontrer; sur le papier c'est séduisant; sur le terrain, c'est un fiasco, les sacs n'étant, loin s'en faut, pas assez résistants pour les roches abrasives qui en tapissent le lit. Je fais grâce au lecteur des photos montrant ces misérables bouts de plastiques éventrés pendant à nos pieds trempés... Pourtant, je suis sûr qu'avec un peu d'ingéniosité cette idée pourrait permettre de confectionner des cuissardes légères et étanches!

Le pont franchissant la Krossá permet d'éviter de guéer son cours principal puissant et tumultueux, et le sentier bien aménagé qui le prolonge ramène, sur le versant nord de la vallée, vers le refuge de Skagfjordsskali où une petite épicerie nous permettra de compléter notre ravitaillement.


Nous sommes rejoints au milieu de notre déjeuner par les trois allemands laissés la veille à la cabane de Baldvinsskali. Ils auront passé presque une journée entière là-bas, stoppés dès leur départ par le temps capricieux... Ils s'installent à côté de nous à la terrasse du refuge, et nous discutons un moment. Les deux garçons sont des trekkeurs expérimentés, mais la fille qui les accompagne est novice en la matière; sportive accomplie, elle voulait découvrir la randonnée et la vie au grand air; partie seule pour l'Islande, elle a jugé plus prudent de s'adjoindre ces deux rassurants compagnons rencontrés au dernier moment dans le bus pour Skógar.

Nous repartons après cette longue halte et traversons bientôt le bois de Thor, qui donne son nom à la vallée. Seule forêt naturelle d'Islande, ce petit bois de bouleaux nains tordus par le vent exhale de douces senteurs végétales par cette chaude fin d'après-midi.


Les collines basses et boisées qui s'étendent vers le nord en quittant le refuge sont parcourues de nombreux sentiers de randonnée à la journée sur lesquels de nombreux imprudents perdent parfois leur chemin, mais nous les traversons sans nous égarer et franchissons le lit très ramifié de la rivière Trönga en essayant une dernière fois, sans beaucoup plus de succès, notre technique d'ensachage. Le soir s'installe lorsque nous franchissons la crête qui surplombe le cours d'eau au nord, et nous redescendons dans la large vallée du fleuve Markarfljót où de vastes pâturages offrent des contrastes estompés d'ocre et de verdure.


C'est un peu à l'écart du chemin, dans ces paisibles solitudes, que nous montons le campement et nous endormons sans délai.

Quatrième jour, Lundi 20 Juillet 2009

C'est sous un ciel dégagé que nous mettons le nez dehors pour découvrir un paysage éclaboussé du soleil matinal.


Le chemin part vers le nord-est en suivant, à bonne distance sur la gauche, le cours du Markarfljót. Nous avançons contre la pente aujourd'hui, et gagnerons lentement quelques centaines de mètres avant le soir, mais nos premiers pas se font sur un sol assez égal où la lave poreuse commence à apparaitre entre les mousses et le sable noir. Nous avançons ainsi plusieurs heures, montant et descendant bientôt les pentes de petites collines séparées par les combes creusées par d'étroits ruisseaux. Il y a un peu plus de monde sur le chemin aujourd'hui, mais les paysages sont magnifiques, bordés par le Mýrdalsjökull qui étire ses immensités glacées à main droite.


Nous parvenons peu après la mi-journée à un ravin profond et encaissé creusé par un affluent du Markarfljót, que le sentier franchit en empruntant un étroit pont de bois.


De là, le chemin monte assez raide pour franchir la crête qu'on devine sur la droite de la photo, et nous croisons un québécois au milieu de la pente; nous causons un peu des paysages, et il nous promet des merveilles pour les jours à venir. Il déplore aussi que le terrain ne soit pas propice à l'utilisation de son carrix, une sorte de brancard à roulette permettant de tirer son sac plutôt que de le porter, mais qui se prête mal aux pentes raides et au terrain parfois torturé que l'on rencontre dans ce pays. Nous lui souhaitons bon vent et continuons notre petite ascension, qui nous amène bientôt au voisinage du refuge de Botnar où nous sommes rejoints par nos amis allemands alors que nous déjeunons; c'est décidément une habitude!
Nous profitons de l'après-midi, qui pour se reposer, qui pour aller explorer le canyon de Markarfljótsgljúfur dont on nous a beaucoup vanté la beauté. Creusé par le fleuve Markarfljót dans des roches volcaniques, ce gouffre profond de 200 mètres est une explosion de couleurs minérales à couper le souffle.


Sous la lumière rasante du soleil, les tons rouges, noirs et ocres des falaises sont adoucis par les mousses vertes et les eaux bleues du torrent; nous ne nous lassons pas de les contempler...

Cette petite excursion depuis le refuge ne prend pas beaucoup plus d'une heure, aussi nous décidons de poursuivre notre route à la faveur de la lumière persistante. Le chemin monte raide en quittant le refuge, et conduit sur les étendues désolées du désert d'Emstrur. Cette immense étendue de sable noir et de lave séchée rappellerait le Mordor de Tolkien si il n'était parsemé de petites touffes de fleurs blanches qui s'agrippent farouchement à la roche .


Le tracé du chemin réussit habilement à éviter la monotonie, suivant d'abord un petit ravin pour approcher ensuite les sommets moussus qui jaillissent ça et là de l'immensité noire.


La progression est lente et un peu irréelle sur un tel terrain, car l'œil manque de repères pour mesurer les distances...
Bientôt cependant, nous arrivons au large cours de la rivière Blafjallkvist que nous devons guéer; l'eau glacée nous monte par endroit à mi-cuisse, et le courant est puissant; heureusement, le lit est plutôt ensablé et notre traversée nu-pieds ne me laisse aucune séquelle. Certains n'ont pas cette chance, et le froid mordant leur causera des douleurs persistantes aux pieds qui mettront plusieurs heures à disparaître! Il aurait définitivement été plus sage de se munir de sandalettes pour traverser les rivières.

Il faut deux lieues pour traverser le désert d'Emstrur, et nous finissons par le quitter aux environs du fort bucolique refuge de Hvanngil. Nous commençons à chercher un endroit où dormir, mais le vent nous interdit le sommet des collines d'où la vue est pourtant superbe; c'est peu après les derniers flamboiements du soleil de minuit que nous finissons par nous installer dans une combe étroite et abritée, à un jet de pierre du chemin.


Cinquième jour, Mardi 21 Juillet 2009

La nuit réparatrice nous a remis d'aplomb, mais nous devons démarrer tôt pour éviter de trop nous faire remarquer par les randonneurs les plus matinaux. Après avoir plié les tentes, nous commençons la journée en traversant à gué la rivière Bratthálskvísl. Le cours est lent et peu profond, mais l'eau est toujours aussi glaciale...les collines qui nous font face sont vite traversées, et nous débouchons de l'autre côté sur le lac Álftavatn. Nous décidons de profiter du soleil pour s'accorder une journée de repos après la longue marche de la veille et avant d'attaquer les montagnes qui nous séparent encore de notre destination.
Nous payons notre écot auprès de la jeune gardienne qui nous accueille avec son bébé dans les bras, et nous nous installons sur le terrain de camping depuis lequel la vue sur le lac est imprenable!


Nous passerons le reste de la journée à faire la sieste à l'ombre, et surtout à pêcher! Le lac lui-même n'est pas très propice à la pêche car son fond est assez plat auprès des rives, et notre canne à lancer ne s'y prête pas bien. En revanche, un petit cours d'eau émissaire s'en écoule paresseusement à quelques pas de là, et nous y devinons les silhouettes de carnassiers en maraude. Notre spécialiste en la matière, Damien, prend les choses en main et fait, de son propre aveu, la pêche la plus miraculeuse de son existence. En quelques heures, nous sortons de l'eau plusieurs petits poissons qui se jettent voracement sur notre cuiller. Ils seront délicieux au déjeuner, préparés au court-bouillon!
C'est la première fois que nous attrapons, préparons et cuisinons un animal. Se nourrir d'un poisson qui nageait juste à côté de là il y a quelques heures à peine procure un sentiment de plénitude et de communion avec la nature extrêmement fort et nous décidons d'en attraper d'autres pour le soir. Nous immortalisons notre mascotte posant fièrement à côté de ses victimes, l'arme du crime à ses pieds!


Le ciel de l'après midi se voile un peu, et au milieu de notre séance de pêche, nous admirons le passage d'une grande harde de chevaux islandais escortée par quelques cavaliers. Ils arrivent de l'horizon dans un nuage de poussière, au trot, et contournent le lac pour disparaître sur la piste vers l'est. La réputation d'amoureux de la race équestre de cette petite nation viking ne semble pas usurpée!


En fin de journée, nous discutons avec quelques autres pensionnaires du camping, notamment deux français qui font griller des merguez sur un barbecue jetable. Il s'agit d'un produit commun en scandinavie: sous un film plastifié, du charbon et un allume feu sont retenus dans une barquette d'aluminium épais et couverts par une grille. Il suffit d'ôter le film, de bouter le feu et d'attendre que les braises soient chaudes pour se préparer des grillades: nous négocions un bout de grille en échange de quelques-uns de nos poissons prêts à cuire, et nous nous régalons de notre pêche de l'après-midi, encore meilleure au barbecue!
Nous apprenons par contre que le bois utilisé pour les refuges Islandais n'est pas ignifugé comme chez nous: nos amis avaient commis l'erreur d'installer leur brasier à même les planches... Si vous passez par là un de ces jours et observez un cercle noir sur la terrasse, ne cherchez pas plus loin.

Reposés, repus et heureux de notre halte, nous nous coucherons tôt ce soir là.

Sixième jour, Mercredi 22 Juillet 2009

La journée s'annonce magnifique, et nous plions le camp tranquillement, trop heureux de nous réchauffer aux rayons du soleil matinal. Comme à notre habitude, nous levons le camp tardivement, parmi les derniers, et nous lançons sur la piste vers Landmannalaugar.

Le chemin file au nord-est vers les montagnes, et nous marchons quelques temps au milieu de douces pentes couvertes d'herbe où paissent les moutons.

Le sentier s'élève bientôt de façon un peu plus raide, et nous cheminons dans la pente. Il faut avaler presque quatre cent mètres sur une courte distance, sur un sol rocailleux et glissant; nous croisons de nombreux randonneurs qui semblent peiner encore plus à la descente! La vue qui s'offre à nous lorsque nous atteignons un large replat rachèterait cependant toutes les souffrances du monde...


Une petite pause avant de repartir, de quitter ces panoramas immenses et verdoyants, et d'entrer dans un monde qui se met à verser, peu à peu, dans la fantasmagorie.
C'est d'abord, trois fois rien, la couleur du sol qui change un peu, des rouges minéraux et des ocres pastels qui succèdent aux verts et aux noirs des jours précédents; ensuite, le relief proche, qui semble à la fois s'adoucir et se durcir; il y a moins d'angles, mais plus rien n'est plat. La montagne s'impose doucement, invite ses névés, se laisse caresser par les rivières qu'ils abandonnent...


Et puis, soudain, on bascule complètement dans un autre monde lorsque la terre se met à fumer. On a beau s'y attendre, on a beau le savoir, le spectacle est extraordinaire.


Le chemin, habilement, ondule sur les lignes de crêtes et donne au passage à voir, à entendre, à humer de nombreuses fumerolles et sources chaudes. C'est vraiment ici, comme sans doute sur de nombreux volcans, que la force souterraine se rappelle le mieux à notre souvenir.

Les sources d'émerveillement sur les hauteurs désertes et balayées par les vents que nous parcourons sont si nombreuses que nous prenons notre temps malgré le froid qui nous accueille chez lui, dans la montagne. De l'eau crayeuse bouillonne dans de petits bassins, des rivières au lit d'un rouge ferreux ruissellent, et courent follement dans leur écrin moussu; l'immensité muette explose d'énergie.



Le vent forcit avec l'altitude, et les névés se font plus nombreux; la neige est dure et sale, et parfois enjambe des ruisseaux par de larges arches que nous craignons de voir céder sous notre poids, mais l'édifice est solide. A l'horizon, blotti au nord de cet étroit plateau, le refuge de Hrafntinnusker est le plus haut perché du parcours; ses emplacements de camping, étagés sur la pente au dessous du bâtiment, sont entourés de petits murets de pierre pour protéger les tentes du vent qui peut souffler en tempête sur ces terres désolées.

Nous nous abritons sur la terrasse et avalons un déjeuner tardif. Nous profitons de la vue et décidons de continuer notre route jusqu'à Landmannalaugar; nous sommes au milieu des vingt-quatre kilomètres que compte l'étape depuis Álftavatn.

Depuis le refuge, le chemin monte un peu et entre dans un paysage extraordinaire; nous marchons dans un champ d'Obsidienne, cette roche volcanique aux cassures aussi lisses et tranchantes que le verre, mais sombre comme l'ébène. Lorsque le soleil perce entre les nuages, et que sa lumière basse rase le paysage, les roches scintillent froidement et nous éblouissent de leurs reflets glacés. L'air est vraiment froid là-haut, et le vent mordant. Les névés encombrent encore l'essentiel du plateau; on passe bientôt juste à côté d'une stèle élevée à la mémoire d'un jeune randonneur, Ido Keinan, mort de froid sur ces terres désolées le 27 Juin 2004. Lorsque le blizzard se lève, que la pluie glacée fouette le corps à l'horizontale, et que l'équipement ne suffit plus à protéger du froid, on comprend que le désespoir s'installe... ce genre de rencontre met un peu de plomb dans la tête.

Les Névés se succèdent et recouvrent une partie du désert minéral de ces hauts plateaux désolés. Nous croisons de plus en plus de monde, sans doute des randonneurs à la journée partis de Landmannalaugar; nous sourions en voyant les yeux ahuris de certaines promeneuses caparaçonnées dans leur combinaison de ski, bonnet vissé jusqu'aux yeux, sidérées de voir Damien se promener en short dans la neige! Il ne doit pas faire dix degrés et le vent souffle sans discontinuer, mais l'effort réchauffe.

Nous arrivons au terme des montagnes, et la vue s'élargit. De vastes panoramas s'ouvrent sur le nord et l'est, où nos regards parcourent de nouveau l'immensité. C'est également le premier champ de lave que nous allons traverser depuis le début du parcours, et cette formation est impressionnante!


Le chemin serpente à flanc de montagne, entre les blocs de basalte, les profondes vallées et les chèvres des collines au poil épais. La descente dans la vallée de Landmannalaugar est époustouflante; toutes les couleurs de la création semblent avoir été convoquées ici par la puissance des volcans pour parer le lieu de teintes minérales aux nuances infinies.


Nous descendons doucement, savourant ces dernières heures de marche malgré le vent qui se déchaine contre nous dans la fraîcheur de la fin d'après-midi. Les fumerolles, les sources chaudes, animent toujours de leur chaleur et de leurs sifflements bouillants les flancs de ces montagnes hallucinées.


Après la traversée spectaculaire du champ de lave, le chemin contourne les derniers blocs avant la destination, en faisant un petit détour par une verte vallée où paissent de paisibles bovins. Un étang aux eaux alcalines se blottit contre le basalte. On se croirait en Irlande... Si ce n'était pour les montagnes ocres et nues.


Nous arrivons avec le soir sur la vaste plaine de Landmannalaugar, et installons notre tente sur le terrain de camping, universellement reconnu comme un des plus mauvais du monde, laissant le choix entre un sol complètement pierreux ou excessivement humide. Faute de place, nous tâchons de nous tirer au mieux de la seconde option. Une fois le gîte installé, nous allons décrasser nos corps endoloris et reposer nos esprits dans les sources chaudes naturelles qui offrent au randonneur, à un jet de pierre de là, l'opportunité de savourer de la façon la plus directe possible tout le sens du concept d'énergie géothermique!

C'est ici que se termina notre randonnée sur le Laugavegur. Il restait encore bien des merveilles à découvrir au-delà: l'Islande a cette capacité magnétique de vous attirer sans répit vers son horizon toujours ouvert et chargé de promesses.

Alors, promis: nous reviendrons.

mercredi 8 juillet 2009

Ski en itinérance dans le Vercors

Préparatifs

Je ne dirai jamais assez à quel point, pour le citadin qui souhaite s'immerger pendant quelques jours dans une nature sauvage, le voyage peut représenter un obstacle long et pénible.

Par exemple, depuis paris, il m'a été impossible de rejoindre les hauts-plateaux du Vercors en une journée. Descente en TGV vers Lyon, où je resterai dormir chez un ami; le lendemain, train vers Grenoble, puis bus vers les hauts-plateaux, où je me ferai exceptionnellement déposer par un chauffeur amical sur le bord d'un rond-point en pleine zone industrielle; les quelques centaines de mètres qui me séparent du magasin où j'ai loué mon matériel seront à parcourir en basket dans la neige avec 25 kg sur le dos. Avouez, c'est plus simple de louer une voiture en descendant de l'avion...

Je prépare ce trek depuis le début de la saison, et mes week-end d'entraînement m'ont appris certaines choses sur la randonnée hivernale: le ski de randonnée nordique est efficace et rapide, mais j'ai des problèmes dès que le terrain est un peu vallonné: j'ai du mal à monter et à descendre... De plus, mon sac à dos me déséquilibre complètement et je me demande si les raquettes ne seraient pas une meilleure solution.
Aussi lorsqu'au magasin Altiplano de Villard-de-Lans, le vendeur me propose de me louer une pulka en plus de ma paire de skis, j'accepte avec plaisir. La pulka est une sorte de traîneau constitué d'une coque rigide et effilée recouverte d'une bâche qui permet de sangler et de protéger le matériel. Elle s'accroche, par l'intermédiaire d'un long brancard métallique, à un harnais qui se porte autour du torse. L'effort est donc complètement transformé, puisqu'au lieu de porter la charge verticalement sur les épaules et la taille, on tracte avec les hanches quasiment horizontalement. Pour assurer une accroche suffisante sur la neige, les skis me sont fournis avec des peaux en mohair, qui sont censées glisser vers l'avant mais empêcher le ski de repartir en arrière. Ce sera la première fois que j'essaye ces peaux, alors on verra bien!
Les skis de randonnée nordique que je loue, quand à eux, sont des modèles un peu hybrides; très légers, mais paraboliques et nettement plus large que des skis de fond, ils assurent une bonne portance sur une neige non damée, et un meilleur contrôle en descente. La fixation cependant est identique au ski de fond, avec seulement l'avant du pied relié au ski, et le talon complètement libre. Cela facilite la marche, mais le contrôle du ski est nettement moins bon que sur des skis alpins par exemple.

Le vendeur me dépose gentiment avec le matériel à la gare routière du village, d'où je pourrai finir, enfin, mon voyage avec un dernier bus vers Corrençon-en-Vercors.

Itinéraire


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Premier jour, Vendredi 6 mars 2009

C'est donc en fin d'après-midi que je m'engage sur les pistes de fond qui partent à côté du terrain de golf en direction des belles forêts de sapins qui couvrent le paysage en face de moi. La piste est bien tracée et balisée, et je croise de nombreuses personnes qui s'arrêtent pour discuter, surprises de voir passer un type avec un tel équipement... les gens sont impressionnés et souvent tentés par l'idée de partir plusieurs jours de suite dans la nature.

La neige est tombée abondamment ces derniers jours, et après quelques kilomètres mon chemin s'éloigne des pistes damées pour serpenter dans la forêt. Heureusement, il y a eu du passage depuis la veille, et le tracé est facile à suivre. Après la cabane de Carette où je compte m'arrêter ce soir, cependant, personne ne serait passé depuis plusieurs jours, et la neige fraîche a dû s'accumuler en congères... ça pourrait s'annoncer plus difficile demain. On verra!

Quelques flocons m'accompagnent à la fin de l'après-midi, mais le trajet est vite couvert, et en une petite heure et demie je me retrouve devant la cabane. Sur les hauts plateaux, les refuges méritent vraiment leur nom!


Je passerai la soirée à faire fondre de la neige sur mon réchaud, seul, et étudier la carte pour la suite du voyage. Je n'ai pas encore d'itinéraire bien défini, je ne connais pas la région, ni les conditions... ni même mon matériel d'ailleurs. Ça promet de belles découvertes!



Deuxième jour, samedi 7 Mars 2009

Je suis vaguement dérangé dans la nuit par l'arrivée tardive de deux randonneurs, débarqués vers minuit: ils ont dû faire tout le trajet dans l'obscurité et le froid nocturne pour venir s'offrir une petite nuitée dans ce coin un peu sauvage. Courageux, me dis-je, blotti dans mon duvet, avant de me rendormir dans un battement de cils.
On peut le deviner sur les photos du refuge; le rez-de-chaussée abrite un poêle et une table, un escalier très raide menant à l'étage où on dort à même le sol. Mon matelas et surtout mon duvet sont de très bonne qualité, et malgré une température de 0°C à l'intérieur de la cabane, je suis bien au chaud et passe une très bonne nuit.
Le lendemain matin, je discute longuement avec mes voisins de chambrée qui m'offrent une délicieuse crêpe bretonne, beurrée, chaude et chargée de garnitures diverses; le meilleur petit déjeuner qui soit dans la montagne!

La piste que je pensais emprunter suit le parcours du GR 91, mais les balisages sont camouflés par la neige, et il n'y a pas encore eu de passage depuis les dernières chutes. Par chance, au moment où je mets le nez dehors, plusieurs raquettistes sont justement en train d'ouvrir la voie et je n'ai qu'à m'engouffrer dans le large sillon creusé dans la neige par ces hommes aux larges pieds. Je discute avec Gérard, un amoureux de la montagne qui s'est installé dans la région pour mieux pouvoir en profiter.

Le chemin débouche, après une succession de petits vallons boisés, sur la large perspective de la prairie de Darbounouse, où nous nous arrêtons un instant pour déjeuner. Le ciel est dégagé et la vue magnifique, le regard embrasse cette vaste cuvette et la bergerie solitaire qui en indique le centre, à quelques 200m de notre point de vue.

Je repars seul vers le sud, et me retourne une dernière fois pour saisir ce vallon de pureté au milieu de la montagne.


Deux jeunes gars en raquettes me dépassent bientôt; ils vont bon train, et ils creusent la trace devant moi, ce qui n'est pas pour me déplaire. En effet depuis le début de l'après-midi, la pulka "botte" terriblement, et semble s'alourdir à chaque pas; la neige, lourde et collante, se fixe par blocs sous le traîneau et complique tellement la traction que je ne peux bientôt presque plus avancer. Je suis contraint à un arrêt de déneigeage tous les 500m, ce qui ne peut pas durer longtemps. Je trouve finalement une solution à ce problème: en rééquilibrant la charge de ma pulka vers l'avant, elle a beaucoup moins tendance à lever le nez, et elle cesse ainsi d'accumuler la neige. Je peux donc poursuivre ma route beaucoup plus légèrement!

Le chemin ne tarde pas à pénétrer de nouveau entre les sapins, et les méandres tracés par la piste emmènent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre; les arbres clairsemés ne donnent jamais vraiment l'impression d'être en forêt, mais jamais non plus ne dévoilent suffisamment la vue pour s'en croire sorti. Au bout de quelques heures, je me retrouve enfin à l'entrée du canyon des Erges.
La trace grimpe le long de cette longue ravine; le chemin est droit, encaissé entre de petites falaises, parsemé de quelques sapins: il donne l'impression étrange, avec le soir qui tombe doucement sous ce ciel de coton, d'un long tunnel de neige grimpant vers un autre univers, qui referme doucement ses bras de roche sur l'aventurier de passage, ne lui laissant d'autre choix que d'avancer ou de rebrousser chemin.


Le ravin débouche, une centaine de mètres plus haut, sur un pays de larges cuvettes et de trace à flanc de colline; j'avance maintenant plein sud, pleine nuit, sous une belle lune qui fait briller la neige. J'aime ces ambiances solitaires et glacées, où la croûte de neige refroidie glisse et se fend sous les skis, et où l'on se sent vraiment seul au monde. Seule la trace que je suis me rappelle la présence d'autres humains. Des nuages courent et s'effilochent dans le ciel, faisant clignoter les étoiles dans la neige...

J'arrive finalement à la petite cabane de Tiolache du milieu, où les deux raquettistes m'ont précédé; ils sont littéralement tombés dessus, si j'en crois leur trace, car de la cabane on ne devine plus guère que le sommet de la cheminée et la forme de la toiture soulevant le manteau neigeux! Je me déarnache et descend les marches taillées dans le mur de neige qui fait face à la porte; je retrouve à l'intérieur les deux gaillards, fatigués et repus, avec qui le reste de la soirée sera très agréable, passé à partager des cacahuètes en parlant de la montagne qui nous entoure et ne peut guère se faire oublier, isolés que nous sommes entre nos murs de pierre. Nous finissons par nous endormir, entassés sur les deux bas-flancs de bois, dans cette minuscule cabane de bout du monde; un vrai quatre étoiles pour aventuriers!

Troisième jour, dimanche 8 Mars 2009

Le jour nouveau apporte le soleil, et c'est sous un ciel clair que nous sortons de ce qui ressemble plus à un terrier qu'à une maison!


La chance, décidément, me poursuit; alors que la trace, hier, s'arrêtait avec mes compagnons de chambrée qui l'ouvraient devant moi, ce matin nous apercevons, au moment où nous quittons la cabane pour retourner vers le tracé du GR, une troupe de fondeurs qui suit le chemin en sens inverse! Nous crions hourra, car ils nous laissent un vrai boulevard à emprunter.
Il faut bien comprendre ce que signifie skier en hors piste, sur une neige fraîchement tombée, en tractant une luge d'une trentaine de kilos: on n'est pas ici sur une belle piste matinale de ski alpin, dure et élastique, à peine recouverte d'un saupoudrage de neige fraîche, et damée pendant la nuit; on avance sur un matériau vivant, poudreux, où le ski s'enfonce parfois jusqu'à la cheville, et où la pulka creuse une large ornière à la force des jambes... faire la trace, c'est faire le boulot d'un brise-glace dans l'arctique: ouvrir temporairement une route un peu plus stable, un peu plus solide, qui demande un peu moins d'effort au prochain qui l'emprunte. Aussi, si la trace est déjà faite, c'est un plaisir que de pouvoir la suivre, s'en remettant au flair de celui qui l'a ouverte pour la qualité de son itinéraire!

Partis pour l'ascension du Grand Veymont, sommet de la longue chaîne de crête orientale du Vercors, qui borde les hauts-plateaux à main gauche depuis la veille, mes deux compagnons me quittent bientôt pour filer vers la montagne. Mon chemin à moi file plein sud; je passerai une partie de la matinée, le nez en l'air, cherchant en vain à deviner deux silhouettes en mouvement sur les pentes de cette belle montagne. Si vous les apercevez sur la photo, faites moi signe!


La trace, depuis la cabane de Tiolache, traverse bientôt une vaste forêt de sapins, où les combes se succèdent; je suis à plusieurs reprises à la peine pour franchir des ressauts de terrain assez abrupts, et le tractage de la pulka est alors un exercice très physique. Les peaux de phoque sous mes skis, que j'ai trouvées très performantes jusqu'alors, atteignent leurs limites dans ces pentes à trente ou quarante degrés et je me retrouve souvent sur un genou parce que le ski s'est dérobé sous moi... l'exercice est usant quand il se répète ainsi: je passe parfois un quart d'heure pour franchir cinq mètres, avant de repartir... jusqu'au prochain ressaut du terrain. C'est à la fois très frustrant et très motivant de se retrouver régulièrement confronté à un obstacle, une barrière, qui nécessite un effort massif pour la franchir mais qui ouvre alors la route sur un nouveau plateau. J'aime de plus en plus la randonnée hivernale...

Une petite halte à la cabane de Jasse du Play, en début d'après-midi, me permettra de me remettre de ces efforts soutenus.


Il fait chaud aujourd'hui, trop chaud pour la neige qui s'alourdit vite lorsque les arbres ne sont pas là pour la protéger un peu des rayons du soleil; elle colle sous les skis, et il devient nécessaire de s'arrêter régulièrement pour en débotter les semelles.

La forêt vallonnée laisse finalement la place, avec l'après-midi qui s'avance, à des étendues plus larges et plus douces, parsemées d'arbres épars, où la progression est plus facile et plus régulière, mais le soleil et la chaleur deviennent pénibles: un comble, non?
Je continue de suivre la trace, ouverte sans doute par les skieurs croisés le matin même, mais j'ai le sentiment de dévier un peu; elle me semble aller trop vers l'est, vers le flanc de montagne, alors que je souhaite me diriger plein sud. Je m'élève doucement, et la vue se dégage peu à peu; bientôt, j'embrasse du regard une vaste étendue, vers l'Ouest et le Nord, mon regard dominant enfin les sapins et les replis du terrain qui me fermaient un peu la perspective depuis la veille.


Mon sentiment sur la trace se confirme bientôt: au détour d'un virage, j'aperçois, franchement sur ma droite et bien plus bas, une large clairière au milieu de laquelle se dresse une bergerie; ma route était censée passer juste à côté! Examinant la carte, j'estime que la trace que je suis doit se diriger vers le pas des Chattons, au pied de Grand Veymont, et basculer dans la vallée au delà. Pas du tout ma route; aussi, je calcule mon cap vers les bergeries, et quitte la piste pour construire mon propre itinéraire. Sans GPS, dans ce paysage où chaque vallon arboré se ressemble, pas évident de savoir où on en est; mais je parviens, au terme d'une longue descente, à rejoindre les bergeries.

La journée tire à sa fin, et c'est sous un ciel qui se couvre lentement que je poursuis ma route en direction du Sud, profitant encore d'une vue magnifique sur la région à l'ouest des hauts-plateaux.


Je me retrouve de nouveau à cheminer de nuit, à la frontale, entre les sapins et les étoiles. Je traverse un petit bois avant de déboucher sur une grande étendue dégagée, et reconnais la colline au pied de laquelle est sensée se blottir la cabane de Pré Peyret, mon refuge de ce soir. Mais la route pour la rejoindre sera sinueuse, car le terrain est très vallonné, et je trace de larges méandres afin d'éviter d'avoir à monter et descendre ces pentes courtes mais abruptes. La lune haute me permet de me repérer en éclairant tout le paysage d'une lumière diffuse et bleutée qui permet à la vue de porter loin dans cet air froid. J'arrive enfin à la cabane, enterrée comme les précédentes sous une belle épaisseur de neige. J'y rejoins Didier, un fondeur solitaire, qui ne s'attendait plus à avoir de la visite à cette heure tardive; nous passerons le reste de la soirée à échanger des impressions sur le Vercors enneigé, et à parler de son autre passion, la Voile, avant de nous glisser dans nos duvets sur les bas-flancs et de nous endormir comme des marmottes.

Quatrième jour, Lundi 9 Mars 2009

J'ai du mal à émerger ce matin. Ce n'est pas vraiment la fatigue, mais plutôt l'incertitude sur la route à suivre désormais. Depuis Corrençon, descendre plein sud, 25 km à vol d'oiseau, donnait un objectif clair; mais je ne sais pas trop où aller maintenant. j'ai horreur de revenir sur mes pas, mais le sud semble m'être barré; si je continue dans cette direction, j'arriverai au bord du plateau et à une descente longue et raide vers les basses terres autour de Die.

Alors que je traîne autour de mon petit déjeuner, absorbé par ma carte, un homme arrive en raquettes et entre dans la cabane. C'est un Ancien, un fils du pays, qui grimpe sur les plateaux de temps en temps, été comme hiver, parcourir et redécouvrir sans cesse la nature de son Vercors natal. Je suis toujours impressionné par celles et ceux qui, malgré l'âge qui s'avance, restent capables d'efforts physiques comme celui là. Bien des hommes plus jeunes, habitués au confort des villes, auraient fait demi-tour ce matin, dégoutés et transis, car il a fait froid et la neige est tombée. Mais Grand-Père est venu jusqu'içi.
Il me raconte des histoires du pays, en arrosant son saucisson d'une bonne tasse de café chaud. Il m'apprend que le Loup est dans le Vercors, depuis des années déjà; les gardes voient leurs traces dans la neige, l'hiver, mais l'animal ne se laisse pas approcher. Bien sûr, les bergers des plateaux pestent, mais il devrait y avoir assez de place pour tous dans ces vastes hauteurs sauvages.

Je choisis enfin ma route: direction l'ouest, vers le col du Rousset, avant de remonter vers le nord en contournant ainsi la vallée qui borde l'Ouest des hauts-plateaux. Nous partons ensemble, avec l'Ancien qui retourne au Rousset où il a laissé sa voiture; la patronne l'attend pour le déjeuner. Le temps est couvert, le ciel plombé et bas, le vent souffle, de petits grains de neige volettent ça et là; ça ressemble à l'hiver. Je me retourne vers la cabane, au fond de son vallon, bien isolée dans ce désert blanc.


Nous cheminons de concert depuis une bonne heure, lorsque le temps se lève un peu, au moment où nous passons devant le pas des Econdus, une trouée dans la barrière rocheuse qui ferme le Vercors au sud, et qui nous bouche la vue vers le sud depuis ce matin. On peut alors apercevoir au creux de la passe une perspective majestueuse, de sommets enneigés sous un lourd ciel d'hiver.


Mon compagnon me montre les sommets, comme il me montrerait de vieux amis un soir à la veillée. En montagne plus qu'ailleurs, cette faculté des hommes à nommer, à singulariser le monde, m'émerveille, comme si ces montagnes avaient attendu patiemment, depuis l'aube du monde, que nous venions marcher parmi elles et les baptiser, complétant enfin par le pouvoir de notre langage l'œuvre du Créateur.

Nous continuons maintenant notre route en suivant le tracé, large et bien damé, d'une course à ski qui est passée içi même il y a quelques jours. Ce boulevard lisse et solide est très agréable et change de la poudreuse; je me règle ma vitesse au pas de mon compagnon en raquettes, et nous continuons notre route jusqu'à approcher les pistes de ski alpin et les remontées mécaniques de la station du Rousset. Il me propose alors de me faire un bout de route en voiture, qui me permettra d'éviter un passage vraiment galère, à devoir choisir entre dévaler des pistes de ski alpin avec trente kilos dans le dos sur des skis à peine fixés, ou tâtonner dans une forêt en dévers pendant des kilomètres. J'accepte volontiers, et nous chargeons la pulka et les skis dans sa voiture; il me dépose à l'entrée de la station, nous nous serrons la main et il part rejoindre sa dame. Au revoir l'ami, et puissent les dieux m'accorder de vieillir comme toi!


Je m'arrête un instant dans ce petit îlot de civilisation, où j'engloutis une bonne crêpe bretonne dans une échoppe et passe quelques coups de téléphone pour dire au monde que je suis vivant et que je vais bien, et je reprends la route en milieu d'après-midi.

Mon chemin remonte maintenant plein nord, et suit pour l'instant une route forestière enneigée à flanc de montagne, à peu près droite et presque plate. La distance s'avale facilement, entre les faux plats qui me ralentissent à peine et les longues descentes qui les suivent, où il suffit de contrôler sa vitesse.


J'arrive ainsi au col de Saint-Alexis, et au stade de biathlon de Saint-Agnan à la tombée de la nuit. Baptisé du nom de l'immense champion de biathlon français Raphaël Poirée, le stade compte quarante kilomètres de pistes damées à travers la forêt, que j'emprunte dans le noir, la seule lueur de ma frontale repoussant les ombres entre les arbres. Il est bien sûr formellement interdit, pour des raisons de sécurité, de se balader la nuit sur des pistes de ski de fond, mais cette solitude nocturne est pour moi préférable de très loin à la foule qui parcourt ces pistes dans la journée!

Je les quitte cependant en m'approchant d'un petit pas que je dois franchir et qui me sépare de ma halte de ce soir, la ferme du Pré. En m'écartant vers l'ouest et en grimpant un peu, je peux distinguer les hauts plateaux et la crête est qui les borde, dominée par la silhouette de grand Veymont dans le lointain. Je franchis le pas, et redescends le long d'un chemin abrupt et encaissé où je dois déchausser sur plusieurs centaines de mètres.

Enfin, j'approche de la ferme, un gîte d'étape isolé au bout de sa route; je surprends la propriétaire, peu habituée sans doute à voir une silhouette sombre, lampe torche au front, au milieu de son jardin à la nuit tombée. Puisse t-elle me pardonner cette frayeur passagère!
je pensais trouver une cabane, mais il s'agit içi d'un vrai gîte, avec chambres chauffées; je m'installe plutôt sous la tente dans le vaste jardin, et passe une excellente nuit à dormir dans la neige sous les étoiles.

Cinquième jour, Mardi 10 Mars 2009

Je suis tiré de mon demi-sommeil par les cris enthousiastes des enfants de mes hôtes, sur le chemin de l'école, qui observent de loin la tente plantée dans la neige au milieu du pré derrière leur maison. Ils semblent adorer la couleur orange, si visible sur le manteau de neige!


Je dois brosser soigneusement l'intérieur de la double tente, où le froid de la nuit a fait geler la condensation; la toile perle de petites gouttes de glace que j'ôte avec un petit balai dédié à cet usage.
Mes hôtes m'offrent un café chaud et je discute longuement avec eux avant de reprendre ma route. Jeunes trentenaires, ils ont plaqué leurs jobs bien payés dans des grosses boîtes pour se lancer dans l'aventure du gîte d'étape dans cette région perdue, en quête d'un peu plus de sens dans leur travail quotidien. Ils ne regrettent aucunement leur choix malgré les petites difficultés, et je les quitte alors que le soleil est déjà haut dans le ciel... si encore je le voyais!

Je suis obligé de suivre la route un moment, avant de descendre à travers bois vers un itinéraire signalé en contrebas par ma carte, la "Grande Traversée du Vercors". L'été, c'est sans doute un chemin agricole serpentant entre les prés clôturés qui le bordent; l'hiver, la couche de neige supporte mes skis et mon traineau, et j'avance gaiement en suivant les traces de pattes griffues et de patins étroits omniprésentes sur ce chemin; il n'y a pas longtemps, une course de chien de traineaux s'est déroulée içi même, et les mushers proposent aussi aux touristes de belles balades derrière leurs attelages poilus.

Je m'engage dans la Combe Libouse, un vallon encaissé entre deux collines boisées, et le manque de neige lié à l'altitude commence à se faire pénible. Depuis le matin, j'ai pu ruser et contourner de vastes zones herbues et caillouteuses pour ne pas endommager mes skis ou ma pulka, mais la neige disparaît de plus en plus. Je dois parfois me déharnacher et partir à pied, loin en avant, reconnaître la piste. Plus aucun traineau ne pourrait passer maintenant, car les zones de sol affleurant sont trop nombreuses.


Enfin, en m'enfonçant dans la combe, la neige revient un peu; à tel point qu'alors que je m'engage dans une large cuvette entre les collines, ma route se trouve barrée par une haute combe neigeuse, appuyée au flanc des collines à droite et à gauche, coupant toute possibilité de contourner, surtout avec ma charge et mon traineau.

Il va falloir passer par-dessus; imaginez un mur vertical lisse et froid, haut de trois mètres, derrière lequel attend l'inconnu. Est ce aussi vertical de l'autre côté? Est ce que la congère est solide, épaisse, friable?
Avec ma pelle à neige, j'entreprends de me tailler des marches dans la muraille. Une fois la première creusée, j'y grimpe et tasse le sol de cette petite caverne avec les pieds, tandis que je me taille une autre marche un peu plus haut, et ainsi de suite... jusqu'à ce que je parvienne au sommet. De l'autre côté, une large surface de neige, mais il me semble que je me trouve sur une couche épaisse... posée sur des buissons et des arbustes! Je hisse la pulka et le reste de mon matériel à la force des bras, et poursuis ma route en rampant, de peur de faire céder sous mon poids la croûte épaisse qui me sépare de la végétation... quand enfin le sol semble s'être raffermi sous le manteau neigeux, je me relève et peux repartir à ski.

Je suis toujours sur les traces des traineaux, lorsqu'au détour d'un virage au milieu des bois, j'entends hurler une meute dans le lointain. Est ce une des attelages de chiens de traineaux dont je suis la trace depuis ce matin, assis sagement dans le petit enclos jouxtant la maison de leur maître? Ou bien des animaux plus libres, et... un peu plus sauvages?
Je crois que je comprends un peu mieux maintenant ce que pouvaient ressentir les hommes du moyen-âge, pour qui le doute n'était pas permis, lorsqu'ils s'étaient attardés ou perdus au fond des forêts et qu'ils entendaient hurler dans la nuit noire. La neige s'est remise à tomber, et elle étouffe bientôt les cris dans la douceur molletonnée de ses flocons.


Il fait de plus en plus "chaud", à peine zéro, et la neige qui tombe fond sur mes vêtements et mes cheveux. Je débouche enfin, à la sortie de la combe, sur une route goudronnée; comprenant que je ne pourrai pas continuer à ski, comme j'en avais l'intention, à cause du manque de neige, je me résous à appeler un taxi pour traverser la vallée de La-chapelle-en-vercors et remonter de l'autre côté. Je patiente au bord de la route, dans le froid et la neige, pendant une bonne heure, et remercie une femme qui s'arrête spontanément pour me proposer de me prendre en stop. Mon chauffeur est déjà en route!

Le taxi arrive finalement et me dépose à la nuit tombée, avec mon matériel , sur le parking à l'entrée des pistes de ski de fond du domaine du haut-vercors. Transi par la neige mouillée qui m'est tombée dessus pendant des heures cet après-midi, détrempant tout mon équipement, je me dirige vers l'auberge du Roybon, un refuge installé quelques centaines de mètres après le début des pistes. J'y trouverai des aubergistes généreux et accueillants, un bon repas chaud, un lit, et surtout une douche, la première depuis cinq jours!

Sixième jour, Mercredi 11 Mars 2009

C'est dans des vêtements secs et après un bon petit déjeuner que je prends la piste pour mes dernières heures de ski. Les pistes de fond sont bien entretenues, et j'y croise de nombreux skieurs, auprès de qui je fais souvent sensation avec ma pulka; on me confond même parfois avec les pisteurs! Cependant, la plupart ne s'aventurent pas bien loin, et lorsque j'atteins la plaine d'Herbouilly, j'y suis pratiquement seul.
J'avale les dix kilomètres de piste en un rien de temps, m'arrêtant simplement pour déjeuner en cours de route et saisir une dernière fois la majesté des paysages avant de terminer mon voyage et de reprendre la longue route de la maison, un peu nostalgique et impatient de retrouver l'hiver à la prochaine saison.